lundi 20 avril 2020

Les photos d'un Paris confiné





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lepoint.fr | Publié le
Mardi 17 mars 2020, 12 heures, début du confinement. Il y a d’abord un silence que je suis l’un des premiers Parisiens à entendre. La ville est officiellement confinée depuis quelques minutes. Mes pas résonnent dans les petites rues du Quartier latin, une lointaine moto qui dévale le boulevard Saint-Michel fait l’effet d’une bombe. Les premières photos sont déroutantes. Rien ni personne ne vient. Alors, on ose se placer en plein milieu du boulevard, là où on a peu de chances de survivre en temps normal, et photographier la longue perspective qui file jusqu’à la place du Châtelet. L’œil dans le viseur, on peine à y croire, tant la ville, nue, prend d’autres dimensions. Il faut documenter ce Paris inconnu et, durant ces trente jours de photographie quotidienne, à raison de trois heures par jour, matin et soir, ce sont les dix premiers où la sensation de vide sera la plus fascinante. Ce 17 mars, la foudre s’est abattue sur les Parisiens. Après l’annonce d’Emmanuel Macron la veille au soir, c’est la sidération pour des habitants qui ne sont pas encore devenus des experts de l’attestation leur permettant de se risquer dans les rues. Le décompte des morts chaque soir par le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon, « tic-tac mortifère » comme le dira le président un mois plus tard, remplit aussi son rôle, sans oublier l’annonce de la vague épidémique qui va déferler sur l’Île-de-France. Les Parisiens – ceux qui ne sont pas partis la veille vers leurs résidences secondaires dans leur 4x4 bondé de bagages – sont sous le choc. De rares passants se croisent au loin, on entend juste la respiration de la ville, son d’invisibles tuyauteries qui continuent d'alimenter des bâtiments pour la plupart vides. Une ville nouvelle sous un soleil froid de début de printemps.

Des policiers à pied, à cheval, en voiture

Les premiers êtres vivants rencontrés, devant la station de métro Cluny, sont quatre policiers. La carte de presse ne leur suffit pas, les deux attestations – personnelle et professionnelle pour éventuellement rejoindre les locaux du Point – les convainquent à peine, « les consignes ne sont pas encore passées », dit l’un d’entre eux, quand on évoque les paroles d’Emmanuel Macron qui, dès le début de l’annonce du confinement, a garanti que les journalistes pourront circuler sans contraintes. On repense à ces temps d’épidémie où la presse n’existait pas. Dans son Journal de l'année de la peste, Daniel Defoe, le père de Robinson Crusoé et de la presse anglaise, écrit : « Nous n’avions rien dans ce temps-là, comme les journaux imprimés, pour répandre les bruits, et les embellir d’inventions comme j’ai vu faire depuis. Ces bruits dont je parle venaient de la correspondance des commerçants et d’autres avec l’étranger, et se répandaient par la conversation seulement, de sorte que les choses n’étaient pas connues instantanément dans la nation entière, comme maintenant. » On est en 1644 et la peste dévastera Londres.
Les consignes passeront, la carte de presse ayant suffi à franchir les autres contrôles du mois. Douze au total, par des policiers à pied, à cheval, en voiture, en civil ou en uniforme, toute la panoplie de la préfecture de police est de sortie, avec, en toile de fond, les couples de voitures grises de la mission Sentinelle qui sillonnent doucement Paris. À Montmartre, en haut des marches qui mènent à la basilique, c’est une haie de policiers qui contemple la cité. Les motards et gendarmes à cheval n’ont personne à contrôler. Au fil des jours, et de la montée de la polémique au sujet des masques, les policiers, qui n’en disposent pas, iront moins au contact, qu’il faut justement éviter.
Les joggeurs, vedettes du confinement, sont là dès les premiers jours. La rue devient le royaume des oiseaux – pigeons, corbeaux et même canards – qui picorent tranquillement en plein milieu des grandes artères parisiennes. Rois du bitume, les sans-abri se parlent sans même crier d’un trottoir à l’autre des larges boulevards. Une ordonnance de la loi d’urgence sanitaire visait à les verbaliser pour non-respect du confinement. Heureusement, la bêtise administrative n’a pas été validée par le Conseil d’État. On pourrait marcher des heures tant la ville est belle, silencieuse, incroyable. Près de la place du Châtelet, seul le son d’un piano résonne sur la place ensoleillée.

Peu à peu, on perd la notion des jours

Très vite, dans les jours qui suivent, les sirènes des ambulances vont donner le ton de l’épidémie qui prend son envol dans toute l’Île-de-France. Jour et nuit, on les entend au loin ou on les voit filer sur les boulevards à des allures folles. Peu à peu, on perd la notion des jours. Tout a changé. Le soir, la lune est claire. On distingue enfin quelques étoiles dans un ciel pur comme jamais, loin de la vieille tôle rouillée qui surplombe d’habitude la Ville lumière. L’odeur aussi. Non pas que la ville sente bon, simplement, on respire mieux, moins accablé par la pollution.

Les Parisiens vont s'adapter au malheur

Le plus saisissant – et le mot est faible –, ce sont les lieux emblématiques de Paris. La place de la Concorde est lunaire. Éclatante de soleil, comme chauffée à blanc, on peut la traverser en diagonale sans risques, dans un silence sépulcral seulement rompu par de rares bus, quasiment vides eux aussi, qui l'empruntent pour effectuer leur service très réduit. Devant l’Opéra, puis les grands magasins du boulevard Haussmann – d’habitude un chaos humain et automobile –, personne. À la gare Saint-Lazare, comme devant toutes les autres de Paris, un policier à chaque porte qui contrôle les très rares candidats au voyage. Du côté de Barbès et jusqu’à la porte de la Chapelle, le confinement a vidé les dessous du métro aérien, mais vers le quai de Jemmapes et de Valmy, quartier des « hipsters », c’est l’inverse. Au Trocadéro et à la tour Eiffel, il y a quelques jours, c’était encore la foule, un magma international de touristes guettés par tous les voleurs, les vendeurs de colifichets et de grigris, les bonimenteurs. Aujourd’hui, plus personne, à part deux gendarmes à cheval qui trottent tranquillement sur le pont d’Iéna sous la lumière magnifique qui frappe Paris sans merci.
Au fil des jours, absents des premières images, les masques sur les visages apparaissent, des plus sophistiqués aux plus bricolés, comme ce couple qui a attaché du tissu avec de petites pinces à dessin qui ne tiennent pas. Peu à peu, les enfants vont ressortir dans les rues pour de courtes promenades prudentes, encadrés par leurs parents, les files s’organiser devant les magasins d’alimentation et les bureaux de tabac. Les Parisiens vont s'adapter au malheur, comme ils l’ont toujours fait. On est place de la République quand la pluie lourde du printemps, la première du confinement, s’abat sur Paris. Éclairs, grondement du tonnerre, odeur de l’asphalte mouillée qui remonte des trottoirs, le vert naissant des arbres ploie sous le choc de sa première ondée, puis le soleil revient. Un gamin de Paris, bonnet bleu sur une tignasse rousse, saute du trottoir sur ses patins à roulettes et enfile à grandes enjambées la rue de Turbigo totalement désertée. La ville est à lui.



Voilà exactement un mois que Paris vit au ralenti, débarrassé de ses touristes et de beaucoup de ses habitants. 

Plongée dans une ville silencieuse.



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